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Essai "Dix ans plus tard"

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Message par Tokri-en-plus-vieux 3/3/2023, 02:29

Le vieil homme se massa l’épaule. Les douleurs de son corps vieillissant atteignaient leur paroxysme à chaque fin de journée, en particulier celles du bras qui tenait sa torche. Trois semaines qu’il se sentait dépérir à petit feu, usé par la tâche qui puisait en ses dernières réserves. Le dos de plus en plus voûté et le corps devenant rachitique, son crâne se dégarnissait peu à peu de ses cheveux blancs.

Las, il soupira. En temps normal, il aurait songé que son temps comme chef était révolu et aurait étudié à qui transmettre ses responsabilités. Les circonstances l’en empêchaient. Survivre à cette nuit et aux suivantes primaient sur ses lamentations d’égoïste sénile.

Il s’arrêta devant l’une des lanternes sur pied qui quadrillaient le modeste village. L’homme réunit son courage et tendit son bras porteur en s’aidant de l’autre afin de l’allumer. Il grimaça alors que sa torche fit flamboyer la lanterne de fortune en un crépitement.

— Besoin d’aide Garol ?

Lorsque le vieil homme se tourna vers Conrad, ce dernier fut frappé par les sillons de son visage, témoignage de sa vieillesse et de sa vie de labeur, le tout accentué par la lueur de la flamme. D’une trentaine d'années, l’homme était son exact opposé. Dans la force de l’âge, musclé par une vie de travail dans les champs et dans les mines, le blond aux cheveux courts tendit une main vers la torche de Garol.

— Je peux t’aider si tu le souhaites, dit-il en un sourire qui fit ressortir ses tâches de rousseur.

L’ancêtre soupira, à la fois las et touché par sa sollicitude, et secoua la tête par la négative en pointant du doigt la propre torche du jeune homme.

— Tu as assez à faire. Je suis vieux, mais je peux encore m’acquitter de ma part.

Ne souhaitant pas débattre, il lui tourna le dos et fit quelques pas vers la prochaine lanterne. Garol s’arrêta toutefois bien vite et se tourna vers le samaritain :

— Conrad ?
— Oui ?
— Pas un mot aux autres.

Il reprit sa route sans tenir compte du regard peiné de son ami, ne souhaitant pas lui infliger davantage sa faiblesse. Peut-être serait-il un jour son successeur. Courageux et dévoué, le trentenaire était doté d’un cœur en or et n’hésitait pas à défendre bec et ongle les causes qui lui étaient chères, en témoignaient les nombreuses disputes entre lui et Garol. Il était également populaire et respecté par ses pairs. Mais pour l’heure, le doyen voulait éviter à tout prix que le moral des villageois soit accablé par l’état de leur dirigeant.

Il salua les habitants qui allumaient les lanternes à travers le village, ainsi que ceux qui se chargeaient des lumières placées sur les toits. Tous le lui rendirent, un respect immense embrasant leur regard. Percevant leurs espoirs, Garol leur était reconnaissant pour leur confiance. Il ne cessait de culpabiliser de leur situation, mais tous savaient qu’il avait toujours œuvré au mieux pour le bien de chacun. Peut-être quelqu’un allait-il répondre à leur demande d’aide ? Chaque lever du jour, ils espéraient et chaque coucher du soleil les décevait.

Position trop peu discrète à son goût, le vieillard prit sur lui pour ne pas maintenir son bras de sa main valide. Il parvint à conserver une expression paternelle lorsqu’il croisa les habitants et se permit de se mordre l’intérieur des lèvres lorsqu’il se retrouvait seul. Il termina son œuvre et salua ceux qui avaient contribué à la mise en place de leur défense nocturne.

Garol se tourna vers les Montagnes Blanches, derrière lesquels le soleil terminait de se coucher. Nostalgique, il regretta l’époque pourtant si proche où il pouvait admirer ce spectacle sans craindre pour sa vie. Garol oublia la douleur qui lui saignait le bras, en osmose avec le paysage et réconforté par la chaleur de sa torche. Alors qu’il songeait avec amertume à la cité qui les ignorait, cachée entre deux montagnes, une magnifique lueur illumina le ciel. Suivie au loin par des sifflements grinçants, annonciateurs tristement familiers de la fin de leur quiétude.

****

Garol plongea une main dans sa réserve d'eau et aspergea son bras endolori. Le contact gelé manqua de lui arracher une plainte, qu'il étouffa de peu. Même isolé dans sa cabane, le vieil homme essayait de taire le plus possible les manifestations de son corps meurtri, craignant qu'un voisin l’entende.

L'eau froide soulagea ses douleurs, ne laissant qu'une sensation d'engourdissement. Il racla le sol en trainant une chaise, qu’il plaça face à une fenêtre. Epuisé, Garol s’y laissa choir et observa l’extérieur, plongé dans son enveloppe nocturne. Les sifflements se faisaient de plus en plus proche, laissant régulièrement la place à des hurlements stridents. Le chef était prêt à parier que quelques créatures étaient déjà aux abords du village et espérait que leurs calculs dans la disposition des lumières serait suffisante pour les protéger. Garol n’en pouvait plus de perdre des gens qu’il avait bien souvent vu naître.

Tandis que les cris se faisaient de plus en plus oppressants et que Garol se félicitait de ne pas avoir encore aperçu la moindre aile, son cœur manqua un battement en voyant une forme dans les rues. Il soupira de soulagement en constatant qu’il s’agissait d’un chien, avant de le prendre en pitié. Le pauvre canidé n’en avait plus pour longtemps.

Une fraction de seconde plus tard, son cœur vieillissant manqua à nouveau de s’arrêter. Un enfant poursuivait le chien, lui hurlant de l’attendre. Garol le reconnut aussitôt, malgré la pénombre : Alaric, le fils de Conrad.

Sans se poser de question, Garol se précipita en dehors de sa maison, saisissant au passage son bâton de randonneur. Il marcha le plus vite possible pour rejoindre l’enfant, maudissant son pas claudiquant de vieillard.

— Gamin ! Rentre chez toi, c’est dangereux ! lui ordonna t-il.
— Non ! Je veux pas qu’il soit mangé ! protesta le blondinet.

Les hurlements les entourèrent. De plus en plus proches, promesses d’une mort lancinante. Garol s’attendait à se faire emporter à tout moment. Les monstres jouaient-ils avec eux, fragiles proies en leur totale merci ?

Il s'apprêta à l’interpeller avec plus de vigueur, Garol vit Conrad le dépasser. Alors qu’il arrivait à la hauteur de son fils, une forme immense s’écrasa sur le chien qui n’eut que le temps de pousser un jappement de douleur. Alaric stoppa nette sa course en hurlant de terreur. Des serres transpercèrent le chien en des giclées de sang, alors que se fit entendre le craquement effroyable de la colonne vertébrale du pauvre animal.

Le monstre frappa le sol de ses ailes, décollant avec sa prise. Le garçon tomba en arrière sur les fesses. Avec horreur, Garol vit une nouvelle créature foncer droit vers le petit, tout crocs dehors. Conrad l’avait vu également. Il saisit l’enfant par les épaules et le projeta sur le côté, juste à temps pour lui épargner de se faire emporter. Impuissant, Garol vit le haut du corps de son ami disparaître dans la gueule du démon. Le choc de ce spectacle sembla figer le temps, permettant à Garol de détailler l’un des monstres qui saignait son village depuis plusieurs semaines. Mesurant trois mètres de haut, le visage de la chauve-souris géante était maculé du sang de sa proie. Ses jambes étaient musclées, lui permettant de prendre appui au sol pour redécoller avec force et vitesse. En plus de ses crocs, il était doté de serre, d’une efficacité mortelle pour saisir ses victimes et l’extrémité de ses ailes étaient aiguisées.

N’en ayant jamais vu d’aussi près, il savait ce que cela signifiait. Comme tous les autres avant lui, sa vie allait bientôt prendre fin. Déterminé à défendre le garçon jusqu’à son dernier souffle, Garol se dirigea vers lui en pestant sa lente carcasse qui refusait obstinément de suivre sa volonté.

Garol sentit des griffes lui perforer les épaules avant que le sol ne s’éloigne de sous ses pieds. Il hurla de douleur, tandis que son cerveau comprenait ce qui lui arrivait. Il n’était plus un humain, mais un met pour monstre. Ce dernier se tordit et fixa Garol de son regard rouge sang presque hypnotique, tandis que de puissants battements d’ailes indiquaient qu’ils prenaient de plus en plus de hauteur.

La chauve-souris ouvrit grand la gueule sur des filets de bave liant les crocs du haut et du bas. Garol peinait à respirer, les narines emplis de l’haleine d’outre-tombe du chasseur. Ses tympans transpercés par le hurlement du monstre, le vieil homme soutint le regard, déterminé à défier la mort.

Soudain, le crâne du monstre fut transpercé de part en part par un projectile inconnu, la réduisant brusquement au silence. Le patriarche sentit les serres se desserrer alors qu’il chutait avec la créature. Cette fois, il ferma les yeux par réflexe, serrant les dents en prévision du choc. Une bourrasque surnaturelle enveloppa l’ensemble de son corps, l’amenant à ralentir jusqu’à toucher durement le sol, bien moins violemment que prévu. A plat ventre, il n’en revenait pas d’être toujours en vie. Garol se plaça sur le dos, cherchant à reprendre son souffle et vit un homme face à lui.

De dos, il tapota la tête d’Alaric, le priant de rejoindre le doyen. Vêtu d’un ample kimono noir bleuté qui claquait au vent, ses cheveux d’un noir de jais étaient attachés en une queue de cheval. Mal rasé, il jeta un bref coup d'œil à Garol avant de se concentrer sur les créatures s’agitant au-dessus d’eux. Immobile, il était presque invisible dans la pénombre de la nuit.

— Putain de Desmodus, chuchota t-il.

L’homme leva brusquement une main. Au même moment, le vent se leva tout autour d’eux. Trois monstres apparurent plusieurs mètres au-dessus d’eux, bloqués par le vent qui s’était formé en une sphère. Garol comprit que son vis-à-vis était à l’origine du phénomène.

Sans lui laisser le temps de se livrer à une quelconque réflexion, le guerrier recula et aida Garol à s’asseoir.

— Il va falloir reculer jusqu’à la maison la plus proche, l’informa t-il.
— Je vais essayer, assura le vieil homme en retenant quelques plaintes.

Il sentait le sang couler hors de ses plaies, mais la douleur était bien trop forte, ne le laissant pas porter ses mains pour ralentir l’hémorragie.

— C’est votre seule chance de survie.

Alaric se colla aux jambes de Garol, qui tenta de le rassurer en lui caressant le visage. Ils obéirent et reculèrent lentement. Le combattant à la queue de cheval continuait de brandir sa main tel une menace, empêchant les Desmodus de s’approcher d’eux. Lorsqu’ils furent accolés au bâtiment, il s’adressa au garçon :

— Petit. Appuie le plus fort possible sur les blessures du vieil homme.
— Pardon ? s’indigna Garol. Mais cet enfant n’a que six ans voyons !
— C’est ça ou vous mourrez. A vous de voir.

Tandis que le guerrier chercha quelque chose dans l’intérieur de son kimono, Alaric posa ses petites mains sur les épaules de Garol. Elles furent bien vite recouvertes d’écarlate. L’homme déroula un parchemin, générant un fin nuage de fumée duquel sortit un katana. Les Desmodus fondirent sur eux, au moment où l’homme disparut à la vue des villageois.

Une fraction de seconde plus tard, la tête de l’une des créatures heurta violemment le sol. Garol aperçut le guerrier contre le flanc de la bête sans tête. Prenant appui sur le cadavre, il bondit rapidement sur la plus proche. Positionné sur sa nuque, le guerrier enfonça ses doigts dans le crâne de la gargantuesque chauve-souris. Cette dernière embraya sur la troisième et la bouscula. Furieuse, elle tenta de griffer son agresseur tout en s’envolant avec le shinobi et son destrier de fortune.

Hors de leur vue, Garol entendit un hurlement aigu bien différent de tous les précédents. Un cri de souffrance ? Quoi qu’il en soit, il fut suivi par un second du même type. Une masse imposante heurta alors le sol, au centre de la rue face à eux.

Un Desmodus aux ailes tranchées tenta de se relever en s’appuyant sur ses pattes arrières. Échec absolu, il retomba lourdement au sol. Son visage tourné droit sur Garol et Alaric, le vieil homme aurait juré voir un sourire maléfique poindre. Le monstre se fit traîner vers eux en prenant appui de ses serres, déterminé à les dévorer. De la bave et du sang coulait giclait hors de sa gueule qui continuait à hurler.

Terrifié, Alaric se blottit contre le vieil homme en geignant. Ce dernier chuchota à l’enfant de fuir, mais le garçon était bien trop en panique pour l’entendre. Garol le serra faiblement contre lui, ses douleurs l’empêchant de le câliner autant qu’il l’aurait voulu. A moins d’un mètre, une fine lame translucide fendit le crâne du monstre en deux. Lorsque le guerrier atterrit juste à côté de la créature, le doyen comprit que l’arme était générée à partir de sa main libre. Après avoir dissipé son sort, le guerrier les rejoignit tout en rengainant son katana. A leur hauteur, il s’agenouilla et fit luire ses mains d’une douce couleur verte. L’homme au kimono les apposa sur les épaules de Garol :

— Je ne suis guère talentueux en ninjutsu médical, s’excusa t-il presque. Mais je devrais vous tirer d'affaires.

Le chef du village en profita pour détailler son sauveur. Le shinobi ne devait pas être loin de la trentaine d’années, bien que le vieil homme se disait que sa barbe fournie et mal taillée devait le rendre plus vieux qu’il ne l’était. Une profonde cicatrice lui barrait la joue droite, une marque plus fine se présentait sous son œil gauche et l’ensemble de son visage était parsemé de légères estafilades. Ses mains étaient tout aussi rugueuses, mais différemment de celles de Garol, témoignage d’une existence ponctuée par de nombreux combats.

S’il avait senti le regard du doyen sur lui durant les soins, il n’en montra rien tandis qu’il se relevait.

— Qui êtes-vous ?

Le guerrier lui tendit une main afin de l’aider à se relever :

— Celui qui va vous débarrasser de vos monstres.


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Message par Tokri-en-plus-vieux 3/3/2023, 16:47

— L’annonce parlait de dix-milles ryos. Je veux la moitié maintenant.

Mains croisées et posées sur son bureau, Garol soutint le regard du guerrier au kimono, adossé à l’un des murs de la cabane. S’il ne l’avait pas vu en action quelques heures auparavant, jamais il n’aurait envisagé de céder la moitié de la prime à un inconnu. Réunir une telle somme avait été difficile compte tenu de la situation du village. Mais cet homme avait prouvé être à la hauteur de la situation. Garol passa une main sur l’une de ses épaules. Ce dernier n’en revenait toujours pas. Atteint de deux hémorragies, le passage du guerrier n’avait laissé que deux plaies soignables par la médecine traditionnelle. Ilyana, la fille aînée de Conrad, avait pris le relais de la magie et bandé les épaules du vieillard, désormais tiré d'affaires.

Il massa son crâne quasi chauve en soupirant, épuisé par cette nuit infernale. Le pauvre Conrad n’avait pas eu sa chance. La moitié basse de son corps avait été retrouvée non loin du village, proche du cadavre du Desmodus qui l’avait emporté. Le mercenaire s’était excusé auprès de Garol et de ses enfants pour ne pas être arrivé à temps. Au moins l’avait-il vengé, bien que cette pensée n'amenait nul réconfort aux proches de la victime.

— Qu’est ce qui nous prouve qu’on peut te faire confiance ? demanda une voix féminine, coupant Garol qui s’apprêtait à accepter.

Le doyen soupira, dépité. Assise contre le mur opposé au combattant, Ilyana le défiait de son regard hazel, d’un bleu taché de marron à partir de sa couronne. Son insistance pour assister à leur conversation n’avait pas été un bon signe. Suite à la mort de son père, Garol se doutait qu’elle se sentait investie par la mission de protéger son petit frère.

— Pourquoi aurais-je pris la peine de vous sauver ? rétorqua l’homme.
— Pour nous voler la moitié de la prime ? cracha l’adolescente, assassine.
— Tant que vous me payez, je remplirai mon contrat.

Garol se pencha en arrière, se reposant quelques instants en s’adossant à sa chaise. Le vieil homme comprenait ses soupçons, l’historique du village avec les ninjas étant loin d’être positif. Son refus de donner son nom n’aidait pas. Toutefois, celui-ci semblait différent. S’il n’avait pas parlé de ninjutsu par rapport à ses sorts de soin, il aurait même douté de son appartenance aux shinobis. Son apparence extérieure évoquait bien plus les samouraïs.

— Je vous ai sauvé cette nuit, continua le guerrier sans laisser le temps à la jeune fille de reprendre la main. Vos vies ne valent pas cinq milles misérables ryos à vos yeux ?

Visiblement exaspéré d’être remis en cause par une adolescente, il décroisa les bras et reporta son regard noisette sur Garol.

— Avez-vous d’autres options ? Je ne travaille pas gratuitement et je peux tout aussi bien partir dès maintenant.
— Ce ne sera pas nécessaire, répondit le concerné en intimant le silence à Ilyana d’un geste de la main.

La jeune fille aux longs cheveux bouclés d’un gris laiteux se pinça une lèvre en le voyant ouvrir un tiroir, retenant visiblement une nouvelle pique. La pauvre petite avait fêté ses quatorze ans entre deux attaques de Desmodus. La première nuit lui avait volé sa mère, elle venait de perdre son père et avait manqué de peu de voir son petit frère subir le même sort. Garol la connaissait assez pour savoir qu’elle supportait son chagrin en cédant à sa colère.

Le doyen déposa une bourse sur le bureau, qu’il fit glisser vers le mercenaire. Il grimaca, ce simple geste ravivant les rhumatismes de son bras.

— La moitié, tu peux les compter. Le reste quand tu auras rempli ta mission.

L’homme s’approcha, prit la bourse qu’il ouvrit pour un rapide coup d'œil avant de la refermer. L’observant la mettre dans son sac de voyage, Garol se fit la réflexion qu’il ne semblait pas à un ryo près. Son exigence avait pour but de clarifier leur lien et de bien faire comprendre qu’il ne dépendait en rien d’eux. Garol estimait toutefois qu’il méritait son avance. En plus d’avoir sauvé leurs vies, il les avait éclairé sur le mode de chasse des Desmodus. Ces derniers envoyaient quelques-uns des leurs en éclaireurs. Plus les proies leur semblaient faciles et plus ils attaquaient en nombre. Cela expliquait la violence de la première nuit, qui avait été la plus meurtrière. Durant celle-ci, Conrad avait découvert que les monstres étaient sensibles à la chaleur du feu, ce qui leur avait permis de survivre les nuits suivantes. Seuls des éclaireurs s’étaient promenés au-dessus d’eux depuis lors.

— Expliquez-moi le souci. Et n’omettez aucun détail si vous voulez me voir réussir.

Garol et Ilyana s’échangèrent un regard. A son grand soulagement, la jeune femme resta mutique. Le village tirait son peu de richesse de l’exploitation d’une mine de charbon, à quelques kilomètres de leurs habitations. Les Desmodus étaient sortis des tréfonds de la caverne depuis un mois.

— Je soupçonne mes miniers de les avoir réveillé en creusant trop profondément. Ils nous chassent depuis lors.

Le guerrier opina du chef en silence, signifiant qu’il avait noté l’information. Il attendit quelques instants en le fixant. En l’absence de réaction de Garol, il prit la parole :

— Pas d’autres informations ? Leur nombre ? La fréquence des attaques ?
— Ils frappent chaque nuit. La première fut la plus mortelle, mais je ne saurai estimer un nombre. Ils sont rapides et pour nous, l’une de ses créatures semble en représenter plusieurs.

Un léger sourire amusé apparut subrepticement sur le visage de son vis-à-vis. Pour un surhumain tel que lui, entendre que les Desmodus étaient rapides devait être très drôle…

— Je verrais ce que je peux faire une fois sur place. Indiquez moi l’emplacement de cette mine.
— Non.

Garol se pinça l’arête du nez, n’en pouvant plus de cette nuit interminable. Malgré toute sa bienveillance, Ilyana allait venir à bout de sa patience.

— Comment ça, non ? grogna le mercenaire en la fusillant du regard.
— Je vais t’accompagner, affirma-t-elle en nouant ses cheveux. Et m’assurer que tu ne fuiras pas avec notre argent.

Un rictus narquois, presque malsain, se peignit à travers la barbe de l’homme au kimono. En une fraction de seconde, ses yeux se voilèrent d’un noir opaque, arrachant un frisson dans l’échine du vieil homme. L’ambiance régnant au sein de la petite mairie s’était alourdie, comme si la mort en personne allait s’abattre sur eux.

— Si je suis aussi dangereux que tu le penses, qu’est ce qui m’empêcherait de te tuer avant de fuir ? susurra-t-il froidement.

Ilyana déglutit, tandis que l’homme reprit son habituelle impassibilité. C’était mal connaître la jeune femme de penser que la peur la tiendrait tranquille.

— Cela prouverait que j’avais raison, répliqua-t-elle d’une voix tremblotante mais non moins emplie d’hardiesse, en soutenant son regard redevenu noisette.

Elle se tourna vers Garol, qui s’apprêtait à protester devant l’insistance de l’adolescente. Il venait de perdre Conrad et sa femme et n’était pas certain que son coeur supporterait d’être responsable de la mort de leurs enfants.

— Je connais les montagnes par cœur. Sa forêt n’a aucun secret pour moi, lui rappela t-elle.
— C’est vrai mais…
— Et je dois t’avouer une chose que mon père lui-même ignorait, le coupa Ilyana avec un petit sourire malicieux. J’ai exploré les mines jusqu’à l’entrée du nid.

Garol n’aurait su dire à cet instant si c’était la peur ou la surprise qui venait de provoquer sa sensation d’étouffement. Ilyana avait toujours été une tête brûlée rêvant d’aventures et de voyages. Le vieillard avait espéré que cela change suite aux derniers événements, mais il n’en était visiblement rien.

— Tu ne peux empêcher un oiseau de voler, déclara la fille aux cheveux laiteux, amenant le vieil homme à se demander si elle pouvait lire dans ses pensées.

L’expression du mercenaire avait changé. La détaillant, il semblait considérer son offre. Les informations en sa possession lui faciliteraient la tâche, mais elle n’en restait pas moins une cible à protéger des Desmodus.

— Bien, soupira Garol, vaincu. Tu lui serviras de guide.

Il se tourna vers le guerrier, le regard alourdi par la fatigue et le stress.

— Je me vois dans l’obligation d’ajouter une clause à notre marché, j’en suis navré.
— Si elle meurt, pas de paiement ? devina t-il.

Garol confirma d’un mouvement de tête.

— Nous partirons à l’aube, décréta le guerrier, d’un ton qui ne souffrait d’aucune contestation.

Le doyen désigna la porte donnant à une petite chambre, juste à côté de son bureau. Là où lui-même dormait lorsqu’il travaillait jusque tard. Garol espérait qu’il irait s’y coucher sans plus tarder, son vieux corps lui hurlant de se reposer.

— Tu peux te reposer ici. Vous avez quelques heures devant vous.

L’homme au kimono bleutée s’y dirigea et ouvrit la porte pour jeter un œil. Il sembla jauger la chambre mais ne laissa rien transparaître de ses réflexions. Avant d’y entrer, il lâcha à l’attention de Ilyana sans même lui adresser un regard :

— Rendez-vous ici dans trois heures. Si tu n’es pas présente, je trouverai la mine par moi-même.

****

— Nous y voilà !

Fière d’elle, Ilyana fit face, poings sur les hanches, à la mine qui abritait le repaire des Desmodus. L’adolescente fut étonnée de ne pas entendre de réponse de son garde du corps, ni de le voir passer à côté d’elle en l’ignorant. En se retournant, elle le vit écarter l’un des buissons de la forêt. Que faisait-il encore ? A plusieurs reprises, il avait ralenti le pas en scrutant le paysage sans lui fournir la moindre explication, avant de reprendre la marche comme s’il connaissait le chemin. Ilyana en était doublement frustrée, prise par le sentiment de lui être inutile en plus du fait que l’homme ne manifestait pas le moindre signe d'essoufflement contrairement à elle. En temps normal, plusieurs pauses lui étaient nécessaires mais elle n’avait pas osé en demander au guerrier, craignant qu’il ne lui demande de rentrer chez elle si elle ne parvenait pas à tenir son rythme.

Agacée, la jeune fille le rejoignit. Lisant l’interrogation dans son regard, le guerrier désigna le sol. Ilyana baissa les yeux et fut secoué d’un haut le cœur. Le pied ensanglanté d’une biche traînait là.

— Je ne te conseille pas de jeter un œil en détail, l’informa l’homme au kimono. Mieux vaut être habitué à l’odeur.

Sans un mot, il passa à côté d’elle et se dirigea vers la mine. Exaspéré, l’adolescente le rattrapa sans parvenir à se retenir :

— Arrête de faire comme si tu n’avais pas besoin de moi !
— C’est le cas pour le moment, répliqua-t-il froidement. Tu ne m’aides qu’à préserver mes forces en m’obligeant à suivre ton rythme d’escargot.

Abasourdie, la bouche d’Ilyana s'entrouvrit d’étonnement. L’expression de son visage arracha un grommellement agacé chez le guerrier, qui se sentit dans l’obligation d’apporter quelques explications :

— Nous avons croisé des cadavres durant tout le trajet. Des carcasses abandonnés par les Desmodus. Je n’aurais eu aucun mal à trouver la mine avec cette piste toute tracée.

Ilyana déglutit. Elle hésita avant de poser la question qui lui était directement venu en recevant cette information :

— Tu as repéré des corps humains ? demanda-t-elle d’une voix hésitante.
— Non. Ces animaux sont des restes des nuits où ils n’ont pas capturé de villageois. Nous sommes leurs mets favoris. Quand ils nous capturent, ils nous emportent dans leur nid pour nous dévorer loin de leurs rivaux jaloux. Et ces saloperies sont difficiles. Elles dévorent les morceaux à leurs goûts et abandonnent le reste.

Ilyana ne répondit pas, digérant l’information en triturant une mèche de cheveux bouclée. L’horreur de l’explication la terrifiait, mais elle était encore plus perturbée par la froide énonciation des faits, dénué d’émotion. L’adolescente observa son compagnon temporaire du coin de l'œil, alors que ce dernier s’était encore arrêté face à l’entrée de la mine. Son regard était dur et concentré, appliqué à sa tâche. Il n’y avait pas besoin de l’interroger pour déduire qu’il avait une expérience certaine en matière de sauvagerie que réservait le Yuukan à ses habitants. Pour combien de villages comme le leur avait-il travaillé ? Tout à sa réflexion autour du mystère que dégageait le mercenaire, elle fut surprise de le voir monter à l’échelle menant à la plate-forme surplombant l’entrée.

— Que fais-tu ? lui demanda-t-elle, dubitative.
— Mon boulot.

Une fois son inspection du promontoire terminée, il ignora l’échelle et redescendit d’un saut surnaturel qui fit s’écarquiller les yeux de la jeune fille. Cet homme était décidément plein de surprises. Il lui lança un regard étonné, ne comprenant visiblement pas la raison de son expression.

— Vous avez des torches ?

La question la ramena parmi eux. Elle répondit par l’affirmative et le guida jusqu’à un cabanon où était rangé quelques outils miniers. Ilyana fut satisfaite d’avoir enfin une utilité, mais, alors qu’elle cherchait un briquet, elle déchanta en le voyant allumer sa torche après avoir fait naître une flamme bleutée au creux de sa paume droite. Cette capacité lui aurait été suffisante pour explorer les lieux.

Il lui confia momentanément sa torche et se dévêtit de son kimono. Ilyana constata qu’il était vêtu d’une tenue souple et entièrement sombre. La matière ressemblait à du cuir, mais ses mouvements restaient silencieux. Son apparence se rapprocha drastiquement de celle d’un shinobi, renforçant les interrogations de l’adolescente à son sujet alors qu’il ne lui offrait aucune piste de réponses.

Quelque soit les informations qu’il avait collecté, le mercenaire sembla s’en satisfaire en pénétrant enfin à l’intérieur de la mine. Cette fois, Ilyana fut certaine qu’elle allait justifier sa présence. La grotte était un véritable labyrinthe qui partait en plusieurs voies. Diverses flèches avaient été peintes sur les murs afin de guider les travailleurs vers la sortie. Suite à sa précédente exploration, Ilyana avait ajouté des croix afin de retrouver le chemin vers le nid des monstres. Dans l’espoir que quelqu’un vienne les aider, elle avait surmonté sa peur des Desmodus afin de leur permettre de les éliminer au plus vite.

— Malin, commenta simplement le guerrier lorsqu’il remarqua les indicateurs.

Lorsque la lumière du jour disparut, Ilyana remarqua de plus en plus d’os jonchant le sol. Elle retint un hoquet de dégoût lorsqu’elle prit conscience que certains étaient humains. Des animaux avaient également été trainés dans l’antre. La jeune fille ne les avait pas remarquées à son précédent passage, mais les explications qui lui avaient été offertes venaient de l’amener à prendre conscience de leur présence.

— Les plus affamés n’attendent pas d’avoir atteint leur nid, répondit le guerrier à ses regards désemparés.
— J’avais remarqué, rétorqua Ilyana d’une voix faible mais ferme.

Plus ils s'enfonçaient, plus de la chair putréfiée était visible sur les restes cadavériques, amenant la jeune femme à se protéger de l’odeur en cachant son nez de sa main. Au bout d’un certain temps de marche, des gravats jonchèrent le sol. En les suivant, ils débouchèrent à ce qui semblait être l’entrée d’une grotte interne aux entrailles de la première. Le guerrier éteignit la torche d’un mouvement de la main, provoquant un sursaut de surprise à Ilyana. L’homme fit apparaître une faible flamme bleutée dans sa paume, qu’il dirigea avec précaution devant lui et confia la torche éteinte à Ilyana.

— J’en entends, chuchota-t-il, d’une voix presque imperceptible. Ces saloperies dorment.

Ilyana n’osa pas répondre, de peur de réveiller les monstres. Le guerrier dirigea sa lueur vers les parois, cherchant visiblement quelque chose. Lorsqu’il arracha subitement un morceau de roche, la jeune femme ne réalisa que trop tard sa nature. Le mercenaire fit tourner la gemme entre ses doigts. Stoïque, son être ne dégageait que froideur. Seul son regard traduisait sa pensée, pleines de jugement, qui arracha un frisson à l’échine d’Ilyana. Il avait compris.

— Et vous osez jouer aux victimes ?

Recevant le reproche de plein fouet, la jeune femme eut le réflexe de baisser les yeux. L’homme était perspicace et elle ne pouvait contredire ses déductions. Après avoir épuisé les ressources en métaux précieux de la première partie de la caverne, les villageois avaient creusé jusqu’à trouver un nouveau gisement. Leur joie face à cette nouvelle richesse fit vite place à l’horreur de la cruauté des Desmodus, qui se répandit jusqu’à leur foyer.

— Vous n’avez fait que payer le prix de votre vanité, lâcha le mercenaire sans une once d’émotion.

Ce fut la réflexion de trop. Furieuse, Ilyana se dirigea vers l’homme au kimono en le pointant du doigt. De rage, elle bégailla et ne trouva ses mots que lorsque son doigt toucha le torse de son interlocuteur.

— C’est à cause de gens comme vous que nous en sommes réduit aux mines ! Tu n’as aucun droit d..

Le guerrier plaqua sa main contre sa bouche. Trop tard. Des hurlements stridents retentirent en écho au sein de la caverne.

— Et merde…

Durant une fraction de seconde, Ilyana crut sentir la paume de son vis-à-vis se durcir tandis que ses doigts s’allongèrent. Elle n’eut pas le temps de réagir à cette sensation, le poing de l’homme se détachant de son visage pour fracasser celui d’un Desmodus à deux doigts de la dévorer. Les hurlements stridents des chauves-souris géantes retentirent en écho contre les parois de la caverne.

Sous le choc, Ilyana tomba sur les fesses et vit à peine le corps de son agresseur percuter un second monstre. Elle aperçut une silhouette qu’elle devina être celle du guerrier, bondissant d’un monstre à l’autre. Des sortes d’ailes ressemblant à celles des monstres lui offraient de courtes accélérations et il s’en servait également pour trancher dans leurs chairs en rugissant. Aucune créature ne parvenant à se rapprocher de la frêle enfant sans se retrouver désarticulée, Ilyana comprit que son garde du corps veillait à contenir les assauts de ceux la prenant pour cible.

La fille aux cheveux d’argent tenta de fuir le champ de bataille, assourdis par les plaintes stridentes des victimes du mercenaire. Elle tituba à plusieurs reprises, peinant à percevoir ce qui se présentait à elle sans la lueur de son équipier. Une poigne la saisit finalement en bas de la nuque, la soulevant de terre avant de l’emporter à vive allure.

Hors de la grotte, Ilyana fut ébloui et cligna des yeux jusqu’à retrouver sa vision, elle poussa un cri d’effroi en percevant la main qui l’emprisonnait, devenue griffue et couverte d’écailles d’un bleu sombre. Ilyana se sentit projetée et n’eut d’autres choix que d’encaisser quelques roulés-boulés avant de retrouver le contrôle de son corps.

En se relevant, elle reconnut la silhouette de son garde du corps avec peine, qui rétracta d’étranges ailes au sein de ses omoplates. Sans les couleurs de ses vêtements déchirés, Ilyana aurait été bien en peine de le reconnaître. Lorsqu’il tourna la tête vers elle pour vérifier qu’elle n’était pas blessé, elle put détailler un peu plus les changements. L’ensemble de son corps, visage compris, était couvert d’écailles rappelant celles d’un reptile. En haut de son front, certaines étaient plus avancées, évoquant les cornes d’un démon dans l’imaginaire de la jeune femme. Visiblement énergisé par la bataille, son sourire carnassier laissa entrevoir des crocs acérés, accentuant le sentiment de danger que lui provoquait le draconide. Il leva les bras face à lui, d’intenses flammes bleutées suivis son mouvement face à l’entrée de la caverne.

— Je ne vais pas pouvoir les contenir bien longtemps, tonna le guerrier d’une voix d’outre-tombe, méconnaissable à celle qui avait été la sienne quelques minutes plus tôt.

Comme pour confirmer ses dires, quelques Desmodus traversèrent la barrière et s’effondrèrent en un torrent de feu non loin de lui. Des hurlements d’une tonalité différente de tout ce qu’elle avait entendu jusque-là résonnérent en écho en provenance de la caverne. Les Desmodus étaient frustrés et en colère.

— Il y a quatre points faibles au-dessus de l’entrée. Je les ai marqués d’un kunai explosif. Voici ma solution : condamner cette maudite caverne. Tu représentes ton village, à toi de me dire si cela te convient.

Ilyana releva la tête, les lèvres tremblotantes. Ses pensées s'enchaînaient en un tourbillon d’émotions dans son esprit, lui interdisant de rompre son mutisme.

— Décide-toi ! le pressa avec rage le guerrier en maintenant les bras droits vers la caverne. Je ne vais pas pouvoir maintenir la barrière éternellement ! Si ma conclusion ne te convient pas, je te ramène au village et vous devrez vous débrouiller seul.

A contrecoeur et la gorge nouée, Ilyana parvint à répondre :

— Fais-le.

Le mercenaire frappa dans ses mains, désactivant au passage la barrière. Une explosion retentit, suivie de quelques jets de gravats qui força Ilyana à s’abriter de ses bras. Des rochers dégringolèrent en cascade, écrasant les quelques Desmodus qui avaient eu la mauvaise idée de tenter une percée.

Le silence les laissa admirer leur œuvre : d’importants gravats bloquaient dorénavant la caverne à gemmes.

— Vous voilà débarrassé des Desmodus, conclut laconiquement le guerrier en retrouvant sa voix et son apparence habituelle.

Une sensation de vide frappa Ilyana en plein estomac. Elle tomba à genoux, tremblante et des larmes coulant le long de ses joues. La jeune femme ne pouvait plus détacher son regard des rochers qui venaient de sceller leurs sorts.

— Qu’y a-t-il ? s’étonna le mercenaire à ses côtés.

— Tu nous as condamné.


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Message par Tokri-en-plus-vieux 16/4/2023, 16:37

Jouant machinalement avec un kunai, Kiari toisait un à un les cadavres des inférieurs. Certains avaient été salement amochés, en particulier par ce bourrin de Xirion qui n’était décidément compétent que sur un champ de bataille. L'ex-kunoichi ne supportait pas ce manque de soin lors des exécutions.

Il n'était pas difficile de faire la différence entre ses proies et celles du colosse qui avait éparpillé sang et tripes sur la place centrale du village. Tout à l’inverse, ses kunais et autres shurikens étaient profondément enfoncés à un point vital. Kiari jeta un œil au gamin qui avait tenté de s'échapper peu après le début des réjouissances. Étendu sur le sol, on aurait pu croire qu'il dormait. Contemplant son chef d’oeuvre du jour, la jeune femme sourit en un mélange de satisfaction et de cruauté.

Reportant son attention sur ses otages, elle décida de ne pas se départir de son rictus, savourant la peur qui les tiraillait. Avec un peu de chance, l'un d'entre eux allait se pisser dessus. Les cadavres avaient été laissés bien en évidence afin de les dissuader de toute tentative de fuite. Croisant le regard d’un inférieur qui semblait à point, elle se délecta de son effroi.

D’un pas chaloupé, elle se rapprocha en léchant langoureusement sa lame. Rasé sur les côtés, sa crête blonde partait en arrière et lui tombait sur le haut du front. Ses tenues légères trahissaient à la fois son agilité et son désir de plaire : mini-jupe et collant en résille pour le bas, assortis d’une veste en cuir semi-ouverte ne cachant en aucun cas ses seins.

Kiari se baissa lentement, veillant à ce que l’homme ait le temps d’admirer son corps. Une fois face à face, elle planta sa lame dans le dos du mort juste à côté d’eux, avant de la lécher en enroulant grossièrement sa langue autour du kunai. La nukenin sortit une seconde lame et saigna délicatement la joue de son vis-à-vis avant de la porter en bouche.

— Chaud, froid… Un régal, susurra-t-elle.

Elle se pencha jusqu’à frôler ses oreilles du bout des lèvres, veillant à ce qu’il se retrouve le regard plongé vers sa poitrine.

— Fais-moi plaisir. Fuis, que l’on joue un peu…

Elle gloussa en le sentant tressaillir et déglutir, avant de soupirer lorsqu’une voix familièrement ennuyeuse l’apostropha :

— Ça suffit, Kiari !

Se redressant tout en faisant tournoyer ses lames, la nukenin fit face à la coéquipière qu’elle avait en horreur. A l’opposé de Kiari, la jeune femme était vétue d’une toge sombre aux nuances de gris. Les cheveux attachés en une natte, tout dans sa stature témoignait de sa discipline et de son contrôle de soi.

— Toujours à briser mes plaisirs, persifla Kiari.
— Recentre-toi, intima l’épéiste, imperturbable. Nous ignorons quand ce mercenaire reviendra.
— S’il te plait, supplia avec exagération la joueuse. Contre nous quatre et nos hommes, que peut faire un pauvre bougre isolé ? Un pantin en moins, quelle importance ?

Nako serra sa prise sur la garde de son katana, son poing gauche ganté de métal se crispa. Kiari avait le don de percer sa stoïcité, qui adorait la titiller à la moindre faille.

— Nous ignorons ces capacités, rétorqua la sabreuse tout en contenance. Lorsque nous l’aurons tué, tu pourras saigner ces misérables comme tu l’entends. Pas avant.

Kiari leva les yeux au ciel en soupirant. Elle toisa son équipière, puis le jouet qu’elle était obligée de quitter.

— Vous m’ennuyez, bouda-t-elle.

Sans attendre de réponse, elle s’éloigna, songeant vaguement à mimer une ronde pour se détendre. Tapant dans un caillou, elle grogna en croisant le regard interrogatif de Xirion, qui semblait être en pleine patrouille. Véritable géant, le taijutsuka était taillé dans la roche, tout en muscle et carré d’épaule. Lorsque son regard lorgna de manière appuyée la silhouette de la jeune femme, de l’electricité enveloppa brièvement ses kunais.

— Même pas en rêve, pesta-t-elle. Les précoces dans ton genre n’ont pas le droit à une seconde chance.

Xirion l’insulta de sa voix de stentor et retourna à son trajet. Avec un peu de chance, il réduirait en miettes un villageois pour se passer les nerfs, histoire de donner un peu de travail supplémentaire à cette emmerdeuse de Nako.

Pourquoi avait-il fallu que ces idiots fassent appel à un mercenaire ? Les inférieurs étaient tellement épuisants à ne pas être capable de se débarrasser de quelques monstres par eux-mêmes. Leur bande avait pourtant fait preuve de patience malgré le tarissement de leurs finances, mais ces minables avaient osé se cotiser pour attirer l’attention d’un inconnu avec l’argent qui aurait dû leur revenir ! C’en était trop pour les nukenins qui décidèrent de rompre leur accord en les éliminant une bonne fois pour toutes. Ce n’était pas les villages dans leur genre qui manquaient de toute façon et un exemple ferait tenir le prochain à carreau. Le problème était qu’un inconnu était déjà en charge du contrat à leur arrivée. Kiari avait suggéré de massacrer comme prévu les villageois et de partir avec l’argent avant son retour, mais cette idée fut balayée par Nako et Dorian. L’homme avait peut-être des alliés et pourrait avoir la mauvaise idée de les traquer.

Kiari aperçut Dorian, adossé à la mairie. Connaissant son zèle, elle était prête à parier qu’il venait de torturer une fois de plus le vieil homme, ce qui était parfaitement inutile. La vue de l’exécution de ses amis l’avait chamboulée et quelques genjutsus mentaux avaient suffi à lui faire avouer le peu de connaissances qu’il avait de leur ennemi. Kiari s’était retenu d’abattre ce chien, les autres ayant jugé qu’il était le seul otage d’importance pouvant se révéler utile en cas de difficulté.

Cherchant à se purger de ses frustrations, Kiari détailla son équipier en se léchant la commissure des lèvres. Contrairement à Xirion, Dorian avait le droit à de nouveaux rounds. Petit bouc et cheveux mi-longs, il était le type d’homme dont la maîtrise de ses capacités se faisait ressentir par son charisme. Ses facultés d’illusionnistes lui permettaient de s’habiller avec excentricité, que ce soit au niveau du style que des couleurs.

Malheureusement, Dorian avait revêtu une tenue de combat banale en ce jour, amenant Kiari à être encore plus impatiente de tuer le parasite à ses amusements. Lorsque le genjutsuka croisa son regard, elle lui adressa l’un de ses sourires les plus aguicheurs. Sa cible le lui rendit et désigna la bâtisse d’un mouvement de tête. Voulait-il le faire devant le vieux ? Cette idée émoustilla Kiari, prise de quelques frissons. Rien de mieux pour lui remonter le moral que d’enfoncer un inférieur dans son malheur. Elle ne fit que quelques pas que le cri d’un sbire coupa court son élan :

— Il arrive ! C’est le mercenaire !

Des éclairs cerclèrent les mains de Kiari, tandis que ses yeux s’embrasérent de colère. Quelqu’un allait bientôt souffrir pour cette journée de merde…

*****

Nako plissait les yeux pour mieux discerner leur ennemi, dont la silhouette se précisait peu à peu à l’horizon. L’épéiste faisait abstraction des ordres aboyés par Dorian et Xirion à leurs hommes, agités par la panique depuis que le mercenaire était apparu au loin. Contrairement à Kiari qui avait déjà claqué, excédé, le visage de quelques sbires, Nako comprenait leur crainte. Ils n’étaient pas des shinobis, seulement de faibles créatures peinant à survivre en ce monde dominé par des surhumains et autres monstres. De la chair à canon, ils n'étaient rien de plus. Que pouvaient-ils espérer contre un homme acceptant d’affronter un nid de Desmodus et se présentant ensuite seul à eux ?

Ce détail faisait tiquer la jeune femme. Garol avait avoué qu’une villageoise accompagnait le guerrier, qui devait être au courant de l’existence de leur troupes. Pourtant, il ne faisait preuve d’aucune discrétion. Excès de confiance ou les sous-estimait-il ? Et où était la gamine ?

De plus en plus proche, Nako détailla son allure. Vêtu d’une tenue intégralement sombre qui trahissait son appartenance à la caste des shinobis, l’homme, coiffé en une queue de cheval et brandissant une cicatrice à sa joue droite, marchait droit en direction du village. Leur nombre qui se déployait tout autour de lui ne semblait pas l’inquiéter. Non loin d’elle, l’épéiste aperçut Kiari se lécher vulgairement la commissure des lèvres. Nako ne doutait pas de la raison de son excitation. Le mercenaire ne présentait aucune égratignure malgré le soin particulier que l’adepte du Raiton prenait dans la disposition de ses pièges. L’inquiétude s’emparait de plus en plus de la sabreuse, qu’elle ne trahit qu’en raffermissant sa poigne sur la garde de son katana. Leur adversaire n’était pas à prendre à la légère. A sa droite, Xirion ordonna à ses hommes d’attaquer.

— Allez-y, ordonna-t-elle à son tour à son escouade.

Une dizaine d'hommes foncèrent vers l’homme, qui ne daigna lever les mains que pour bloquer le premier poignard qui tenta de l’occire. Dans son dos, elle entendit les sbires de Kiari et Dorian bandaient leurs arcs. Lorsque le mercenaire frappa son agresseur, Nako comprit qu’elle allait devoir combattre. Nuque brisée, le brigand tomba au sol tandis que son meurtrier éliminait un deuxième sbire en plein plexus solaire.

Puissant et rapide, chaque coup était calculé. Une frappe, un mort. Les flèches ne semblaient pas exister, les esquivant naturellement en une danse agile. Si elle n’avait pas autant craint pour sa vie, Nako aurait pu être admirative. Pour l’heure, elle dégaina son katana, tandis qu’elle courait sur le champ de bataille aux côtés de Xirion.

D’un pas de côté, l’homme aux cheveux de jais esquiva le lourd poing du colosse avant de se laisser glisser au sol afin d’éviter la frappe d’estoc de Nako. Vive, cette dernière se retourna et frappa à nouveau, décidée à ne laisser aucune ouverture à leur redoutable adversaire qui roula sur le côté. Plus rapide que sa carrure ne le laisser supposer, Xirion fut sur le guerrier dont les réflexes n’avaient rien à leur envier.

Le shinobi prit appui sur l’imposant poignet de Xirion et bondit en un salto au-dessus de sa tête. Impassible, Nako exploita cette ouverture et se rendit à toute vitesse à son point d’arrivée pile à l’instant où il posa pied au sol. L’épéiste le transperca à l’abdomen, laissant un léger sourire victorieux éclairer son visage. Ce dernier s'effaça aussitôt, alors qu’elle extirpa sa lame avec un empressement qui trahissait son inquiétude. De la plaie s’échappa une fumée noirâtre tandis que l’homme bascula en arrière en éclatant d’un rire dément. Les yeux écarquillés sans comprendre ce qui était en train de se produire, une goutte de sueur froide glissa le long du dos de Nako. Lorsqu’il heurta le sol en silence, le corps du guerrier explosa en une brume noire qui engloutit le groupe avant même que quiconque ne puisse réagir.

L’épéiste pesta d’être tombée dans un piège aussi grossier. Elle ferma les yeux un bref instant et fit le signe du kai de sa main libre, décidé à se débarrasser de cette illusion. Un simple mot, prononcé d’une sadique douceur, secoua son corps du froid de l’épouvante.

— Jouons.

*****

Craquement des os, déchirures des membres, hurlements de souffrance et rire cruel de leur bourreau étaient tout ce qui entouraient Kiari en cet instant.

Les éclats du mercenaire s’éteignirent bien vite, ne laissant que les cris de peur et d’agonie aux oreilles de la jeune femme. Statique, ses sens aux aguets tentaient en vain de discerner ce qui l’entourait. Alors qu’elle pestait contre la lâcheté des illusionnistes, une voix d’outre-tombe sussura alors à son oreille :

— Votre peur est délectable…

Instinctivement, Kiari frappa en arrière mais sa lame électrique ne rencontra que le vide. Elle n’eut pas le temps de s’interroger que ses réflexes la fit esquiver ce qui semblait être une liane noire à l’extrémité pointue. Plusieurs autres tentèrent de la transpercer, la contraignant à la fuite à sa grande frustration. Peu habituée à subir un combat, elle enragea de ne parvenir à improviser aucun plan pour se sortir de ce cauchemar.

Tout en agissant, elle croisa les mises à morts fantasmagoriques de ses hommes, qui ne fit que confirmer ses doutes par l’absurdité de leurs démembrements par les ombres. Les attaques cessantes, Kiari se retrouva face à l’un de ses inutiles sbires. A peine eut-elle réaliser sa présence qu’une ténèbre l’empala et l’emporta dans le néant.

— Dorian ! hurla-t-elle, ulcérée par son impuissance. Dissipe ce putain de genjutsu !

Lointaine, la voix de son partenaire lui répondit :

— Ce n’est pas une ill..

Un craquement précéda un soudain et inquiétant silence généralisé. Les hurlements s’étaient tus en un même instant. Des tremblements secouèrent les mains de Kiari, qui resserra sa prise sur ses armes. Elle peinait à respirer, prise de panique par le sentiment qui la saisissait presque davantage que par leur situation. Voilà bien longtemps qu’elle n’avait pas gouté à la peur qu’elle savourait tant chez les autres…

— Les chasseurs sont devenus proies…

Ne lui laissant pas le temps de réagir, une masse s’écrasa face à elle. Hésitante, elle baissa les yeux et découvrit Dorian qui la fixait bien que lui tournant le dos. Ses sens éteints par la vision de son amant sans vie, elle ne vit qu’au dernier moment une masse noire informe la prendre pour cible. Sortant de nul part, Nako s’interposa et matérialisa un bouclier à partir de son gantelet. La protection tint bon mais l’épéiste percuta Kiari, les projetant toutes deux sur plusieurs mètres. Les jeunes femmes plissèrent les yeux un bref instant, éblouies par une forte lumière. Durant une fraction de seconde, la kunoichi en résille craignit un nouveau piège avant de prendre conscience qu’elles avaient enfin retrouvé l’air libre.

Face à elle se trouvait une étrange forme noire, ressemblant à un nuage entre état gazeux et solide. Elle hésita à le toucher, mais la crainte de se retrouver absorbé prit le dessus sur sa curiosité. Quelque chose d’imposant s’extirpa à quelques mètres d’elles, soulevant des volutes de l’étrange matière. Kiari reconnut le rugissement avant que le visage de son collègue ne paraisse totalement de la brume. Xirion empoignait leur ennemi par le torse de son imposante main.

— Il n’arrive pas à le briser, marmonna Nako, d’une voix tremblante.

Kiari se mordit une lèvre. Elle détestait l’admettre mais elle doutait de plus en plus de leur capacité à vaincre ce parasite, une première depuis bien des mois. Le colosse tenta d’abattre son poing contre le visage de son adversaire, qui para de son avant-bras en un mouvement à la fois vif et indifférent. Le mercenaire en profita pour bloquer le poignet de Xirion et frappa à plusieurs reprises sa mâchoire. Tétanisées par le spectacle, les jeunes femmes sentirent la puissance des chocs malgré la distance. Xirion n’eut d’autres choix que de le lâcher et recula maladroitement de quelques pas, sonné et crachant quelques dents.

Le nukenin essuya le gros du sang tâchant le bas de sa joue déformée, n’osant pas prendre l’initiative. L’homme s’en amusa, tournant autour de sa proie sans esquisser la moindre pose de combat, un sourire sadique aux lèvres. Vêtu d’un kimono sombre aux contours bleutés qui laissait entrevoir par l'ouverture en son centre une musculature finement taillée, le teint de sa peau était bien plus pâle que celle de son clone. Il tourna la tête vers Nako et Kiari, arrachant un frisson à cette dernière lorsqu’elle croisa son regard d’une noirceur opaque. Des veines apparentes, de la même teinte, partaient du coin de ses yeux et s’étendaient le long de son corps de ce qu'elle constatait de son torse.

Xirion saisit sa chance et tenta une nouvelle frappe, qui fut paré sans même qu’il ne daigne bouger la tête. L’homme leva le pied et fracassa la rotule de son vis-à-vis, qui hurla de douleur en heurtant le sol de son genou valide, n'évitant de s’affaler au sol qu’en se rattrapant de peu de ses mains. Le corps de Kiari fut secoué de tremblements, son esprit paralysé par l’aura écrasante du guerrier alors qu’elle sentait venir peu à peu sur eux la sentence de mort. Xirion se pencha en arrière, défiant une dernière fois le démon. Ce dernier leva une main écailleuse et griffue, ses yeux laissant échapper des volutes de fumée noire alors qu’il la plongea en plein cœur.

La vue de l’organe vitale de Xirion entre les griffes du démon réveilla l’instinct de survie de Kiari, qui chargea des shurikens d’éclairs. Elle bondit et les envoya vers son ennemi qui se contenta de jeter le cœur comme s’il s’agissait d’un vulgaire déchet, le cadavre du colosse heurtant le sol à ses pieds. Il lui adressa un sourire narquois, peu avant que les projectiles ne traversent un amas de matière noire.

— Putain ! pesta Kiari en tentant de déterminer d’où viendrait le prochain assaut.

Ne laissant aucune marge de réaction, le faucheur jaillit de la brume, katana en main et à demi-enveloppé de fumée. Nako fut une fois encore plus prévoyante et s’interposa, parant le katana du guerrier de son bouclier. Kiari s’éloigna de quelques mètres d’un bond, tandis que sa partenaire entamait une nouvelle danse avec leur ennemi.

Kiari chargea kunai et shuriken en Raiton et tenta de soutenir son alliée au mieux. Infatigable, le mercenaire continua de mener le jeu. Aucune botte de Nako ne passait et un observateur extérieur aurait pu croire que sa partenaire souffrait de troubles visuels tant les esquives étaient naturelles, les faisant passer toutes deux pour des débutantes.

Le bouclier Kinton de l’épéiste s’ébréchait peu à peu, symbole inéluctable de leur trépas. Silencieux, le mercenaire ne se départissait pas de son sourire carnassier, prenant plaisir à prolonger leur supplice. Tout en dégageant une énième fois Nako, il se permit même de se lécher la commissure des lèvres, un geste bien trop familier à Kiari. L’homme se délectait par avance de ce qui allait suivre.

Abandonnant tout espoir de survie dans l’affrontement, Kiari chercha une piste de fuite autour d’eux. Elle ne se leurrait pas, tenter de s’échapper était synonyme de mise à mort instantanée. Mieux valait profiter du fait qu’elle n’était pas la cible immédiate pour s’emparer d’un otage. Avec un peu de chance, son contrat avec les villageois offrirait à la jeune femme un levier de négociation.

Malheureusement, ces misérables inférieurs s’étaient enfuis, excepté une gamine aux cheveux gris laiteux. A demi-cachée au coin de l’une des premières maisons, elle les observait combattre avec fascination. Kiari esquissa son premier sourire depuis l’arrivée du mercenaire. Ce dernier esquiva une frappe de taille en un saut arrière et, une fois à bonne distance, déroula un parchemin qui fit apparaître un second katana. Sadique, il les plaça en ciseaux face à son visage, rendant livide la pauvre Nako. Des éclairs crépitèrent autour des pieds de Kiari, accélérant son départ en direction de l’enfant qui représentait sa dernière chance de survie. Elle entendit l’épéiste l’insulter dans son dos et comprit que le démon allait la prendre en chasse.

Alors que le chasseur fondait sur Nako, cette dernière tendit sa lame droit devant elle et usa de son affinité pour l’allonger tel un fouet. Il bondit au-dessus d’elle et atterrit avec souplesse dans son dos. Esquissant un début de mouvement dans l'intention de le trancher en deux, elle n’eut pas le temps de constater la disparition de ses katanas avant que ces derniers ne s’enfoncent à travers ses épaules en une croix morbide. Le démon bondit en avant, déterminé à rattraper la dernière nukenin. Les lames s’extirpèrent en deux gerbes écarlates et atterrirent dans les mains du shinobi en pleine course.

Kiari craignit qu’il ne la rattrape, malgré l’avantage que lui conférait son affinité. La gamine aux cheveux gris ne comprit que trop tard ce qui lui arrivait et eut à peine le temps d’esquisser un geste de fuite avant de se faire saisir par la psychopathe. Poignet calé contre sa gorge et s’esclaffant d’un cri de joie, elle se saisit d’un kunai qu’elle pointa sur sa carotide et fit face au démon.

— Ne bouge plus !

Le guerrier stoppa net sa course et la fixa, des volutes de fumée s’échappant par instant de ses yeux. Sa bouche se déforma entre impassibilité et rictus frustré. Kiari comprit qu’il était furieux.

— Lâche tes lames et fais deux pas devant toi.

Pour bien lui faire comprendre le danger, Kiari fit perler une ligne de sang le long du cou de l’adolescente. Le mercenaire planta ses lames au sol et avança. Mais cette fois, il ne lui laissa pas l'initiative de l’échange.

— Imagines-tu vraiment avoir la moindre chance ? ricana t-il, lugubre.
— J’ai été plus rapide, rétorqua-t-elle en léchant la joue de son otage. Je le suis toujours.

Le démon éclata de rire, main gauche derrière le dos. Il continua d’avancer lentement en faisant pencher légèrement sa tête sur la gauche, la langue titillant le bord de ses lèvres.

— Stop ou je la tue !

Il s’arrêta, sans rien changer à son expression. L’opacité de son regard l’empêchait de déterminer ce qu’il observait. Craignant une hypnose en le fixant trop intensément, elle se rendit compte que son œil droit était cerclé d’écailles semblables à celles de sa griffe, ponctué juste en dessous d’une profonde cicatrice. Une plus fine était visible sous son œil gauche. Ses cheveux de jais attachés en une queue de cheval ne laissaient filer que quelques mèches dans l’encadrement de son visage, Kiari ne put s’empêcher de se dire qu’elle l’aurait volontiers croqué en d’autres circonstances.

La nukenin fit un pas en arrière et écarquilla les yeux lorsque son vis à vis brandit sa main droite devant lui. Constatant qu’elle était chargée de ténèbres, Kiari jura et décida d’égorger l’adolescente. Elle pesta une seconde fois lorsqu’elle en fut incapable, un vent ciblé maintenant sa lame sur place. Impuissante, la kunoichi en résille ferma les yeux alors qu’une sphère obscure fonçait droit vers son visage.

Seul un léger vent caressa sa joue. Étonnée, elle rouvrit les yeux et eut une fraction de seconde de stupéfaction, fixant son ennemi qui ne bronchait pas, fixe dans sa posture et poing droit fermé. Kiari éclata finalement de rire et fit naître quelques éclairs de ses doigts, faisant sursauter son otage.

— Raté ! Laisse moi partir maintenant, ou je la gri…

Un goût de sang envahit le palais de la nukenin, alors que des piqûres brûlèrent son épaule et son flanc droit. Sous la douleur, elle relâcha sa poigne. L’adolescente aux cheveux gris se dégagea et fuya dans le coin de la maison, tandis que Kiari sentit plusieurs pointes la traversait sur la partie gauche de son corps.

Son sang coulait en perles régulières le long de son menton. Alors qu’elle se sentit soulever, elle trouva la force de jeter un œil par derrière son épaule. La sphère se trouvait en lévitation, d’où partaient les liens qui la pourfendait et la rapprochait lentement du démon. Un nouveau trait en sortit et fonça vers son visage. Au dernier moment, il se tordit pour pénétrer l’arrière de son crâne. Kiari serra les dents, tandis qu’un flux de sang s’échappa avec davantage de vigueur de ses lèvres.

Un froid filet liquide glissa le long de sa nuque tandis que sa tête fut tournée vers le démon. Tête penchée sur sa gauche, il arborait un sourire sardonique en la contemplant. Une sensation glaciale se propagea le long de son corps à partir des points la transperçant.

Il la désigna finalement de l’une de ses griffes, tandis que la tête de la jeune femme bascula légèrement vers l’arrière, lui laissant le temps de comprendre son destin. Terrifiée, la nukenin n’eut aucune autorisation pour le moindre geste jusqu’à sentir la pointe pénétrait avec délicatesse sa gorge.

S'enfonçant de plus en plus en un sordide gargouillis, Kiari se retrouva dans l’obligation de plonger son regard dans celui abyssal du démon. Tandis que la vie quittait peu à peu son corps en quelques ultimes soubresauts, elle entendit un dernier mot, chuchoté avec affection :

— Merci.


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Tokri-en-plus-vieux
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Essai "Dix ans plus tard" Empty Re: Essai "Dix ans plus tard"

Message par Tokri-en-plus-vieux 20/4/2023, 10:28

De chaudes larmes tombaient sur les joues du pâle petit garçon, le corps remué par l'étreinte de sa grande sœur. Les yeux clos, il semblait dormir paisiblement. Ilyana peinait à retrouver sa respiration, la gorge prise par les soubresauts de sa peine.

Face à l'assurance du mercenaire, la jeune femme avait pourtant eu espoir d'un dénouement heureux. La fille aux cheveux d'argent lui avait tout raconté dans le moindre détail. Alors que la cité au-delà des montagnes les avait toujours ignorés, une bande menée par quatre nukenins avait décidé de les tenir sous leur protection. Contre l'avis de Conrad, Garol les avait payés par les finances de leur agriculture dans un premier temps, mais cela ne suffit rapidement plus. Il décida de rouvrir l'ancienne mine, fermée pour des raisons de sécurité. Ils parvinrent à acheter leur survie, jusqu'au réveil des Desmodus.

A peine avait-elle terminée son récit, en lui reprochant au passage de les avoir privés de leur unique espoir de survie, qu'un lézard ailé se posa sur l'épaule du guerrier. Ce dernier l’informa sèchement avoir eu le sentiment que le maire lui cachait certaines informations et avait laissé un dragonneau en cas d’imprévu. Ilyana retint un hoquet de surprise lorsque le petit animal d’émeraude prit la parole pour les informer qu’une bande de brigands avait pris en otage les villageois, semant mort et destruction en guise d’avertissement.

L’adolescente n’eut pas le temps de s’inquiéter, choquée par la teinte opaque que prit le regard de son garde du corps. Alors qu’ils reprirent la route, elle n’osa pas lui adresser la parole, sentant par son aura la colère froide qui l’animait. Le mercenaire ne s’adressa à elle que pour la protéger de divers pièges, qu’il identifia et détruisit comme s’il s’agissait d’une seconde nature.

Lorsque le village fut en vue, le mercenaire fit apparaître un clone et ordonna à Ilyana de rester loin du champ de bataille tant que leurs ennemis ne seraient pas tous morts. Son intention était claire : il n’y aurait pas de survivant. Mais lorsque le nuage engloutit la troupe et que le mercenaire s’y engouffra, la tentation fut bien trop grande. Ilyana contourna la brume et fut étonnée de n’entendre aucun son venant de l'intérieur, comme si tous les êtres vivants absorbés avaient simplement disparu. Se doutant qu’il n’en était rien, l’adolescente se cacha au coin d’une maison non loin. Bien qu’impressionnée, elle fut bien en peine de comprendre le combat qui s’ensuivit. Les ninjas n’étaient définitivement pas du même monde qu’elle, se déplaçant à une vitesse impossible à suivre.

Prise en otage avant même d’avoir réalisé ce qui lui arrivait, Ilyana craignit durant quelques secondes que le mercenaire décide de ne pas s’embarrasser d’elle pour éliminer sa dernière cible. Une fois de plus, elle ne perçut pas l'enchaînement qui la libéra. Après s’être éloignée, elle assista avec une fascination morbide à la torture de la kunoichi en résille, jusqu’à ce que le guerrier ne transperce sa gorge de l’une de ses griffes. Il la fixa droit dans les yeux jusqu’à ce que toute trace de vie disparaisse, puis extirpa sèchement sa serre, traçant une ligne de sang derrière lui.

Son monde s’effondra alors qu’elle retrouvait les villageois survivants. En piteux état, Garol lui expliqua que la kunoichi en résille avait tué son petit frère peu après leur arrivée, alors qu’il tentait avec désespoir de fuir. Elle n’éprouva qu’une satisfaction amère à la souffrance qui avait été infligée à l'assassin de son cadet.

L'adolescente n’avait pas quitté le garçon depuis. Après s'être essuyé les joues, Ilyana donna un dernier baiser sur le front du blondinet, puis remonta la couverture sur son visage. Elle posa délicatement une main au niveau de son ventre avant de chuchoter :

— Au revoir, petit frère.

En sortant de la maison funéraire improvisée, Ilyana croisa sans le voir le regard de Garol. D’un pas claudiquant, le vieil homme la rejoignit et l’étreignit :

— Je suis désolé, dit-il en un sanglot.

Ilyana lui tapota le dos sans conviction, éteinte. Le doyen avait fait de son mieux pour eux tous, que pouvait-elle lui reprocher ? L’adolescente ne retenait que la sinistre vérité : le monde était simplement cruel et injuste avec les faibles de leur espèce. Et elle commençait à comprendre ce qu’elle devrait faire pour survivre.

Elle jeta un regard circulaire autour d’eux. Étonnée, elle regarda véritablement Garol :

— Où est-il ?
— Il a pris son argent et est parti.

Ilyana jura, furieuse autant que surprise. Comment osait-il partir sans même lui dire au revoir ? Un sentiment d’urgence s’empara de la jeune femme. Il n’avait pas le droit de partir ainsi, sans même lui laisser la chance de lui parler de ce qui lui trottait dans la tête.

— Quand ? Et dans quelle direction ?

Surpris par le ton pressant de la gamine, Garol lui désigna la direction en l’informant que cela ne faisait que quelques minutes. Ilyana se mit à courir aussi vite qu’elle le pouvait. Quelques minutes signifiaient qu’il pouvait déjà être à des kilomètres du village. Elle bannit cette pensée de son esprit, décidée à le retrouver.

Sortant du village, une brève course lui suffit pour l’apercevoir, marchant tranquillement avec son sac sur une épaule.

— Stop ! ordonna-t-elle en un hurlement à demi-coupé par l’air qui peinait à atteindre ses poumons.

Le mercenaire stoppa net son pas et se tourna vers elle. De son étonnement ne fut lisible qu’un sourcil qui se releva subrepticement. Une fois face à lui, elle se pencha, paumes posés contre ses genoux, et fit de son mieux pour reprendre son souffle. Incapable de parler, elle leva une main pour lui signifier que cela allait arriver.

- Dépêche-toi, grogna l’homme.

Ilyana lui tira la langue et soutint son œil reptilien dont elle commençait à s'habituer.

— Tu comptais partir sans même un au revoir ? lui reprocha-t-elle sur un ton faussement peiné.
— J'ai rempli plus que mon contrat en vous débarrassant de ces ordures, grommela le draconide.

Ilyana tira sur une mèche, cherchant la manière d'aborder sa question.

— Tu es en vie, je n'ai plus rien à faire ici.

Il se tourna de profil, dans l'intention de reprendre sa route, avant de stopper son mouvement. Il ajouta d'une voix dont transparaissait un soupçon de compassion :

— Désolé pour ton frère.
— Entraîne-moi ! s'exclama-t-elle, presque implorant.

Le mercenaire souffla du nez. Si des flammes en étaient sorties, Ilyana n'en aurait pas été étonnée.

— Je veux devenir aussi forte que toi, marmonna-t-elle en se grattant le bras, gênée.
— Pourquoi ?

La question était sèche, brutale, l'invitant à répondre instinctivement :

— Pour survivre, dit-elle sans réfléchir.
— Mais encore ?

Cette fois, Ilyana prit quelques secondes de réflexion.

— Nous étions soumis par notre faiblesse. Si nous avions été plus puissants, nous aurions pu nous défendre.

Le mercenaire croisa les bras en la toisant froidement. De toute évidence, il attendait la suite de son raisonnement.

— Ma famille serait encore en vie chuchota-t-elle en étouffant un sanglot, les larmes lui montant aux yeux.
— Tu te leurres si tu t'imagines que la force t'épargnera les tourments du deuil.

Elle détourna le regard tout en s'essuyant les yeux. Montrer sa fragilité risquait de compromettre ses chances déjà minces.

— Rester une proie ne m'aidera pas à éviter d'autres drames, pesta-t-elle.
— Rien ne t'en empêchera. Les monstres du Yuukan n'ont de pitié pour personne.

Le mercenaire s'approcha d'elle jusqu'à se pencher, fondant son regard dans le sien. Ilyana se perdit dans le trait fin de l'œil draconide, à l'iris jaune pâle en son centre et prenant des reflets orangés aux extrémités de la cornée.

— Si tu suis cette voie, tu seras peut-être capable de te défendre. Mais tu te feras des ennemis. Certains chercheront à te prendre tout ce que tu chériras.

Ilyana opina du chef tout en maintenant le duel visuel. Le guerrier finit par sourire et cacha brièvement sa griffe et son œil, qui reprirent un aspect humain.

— Peut-être y'a-t-il quelque chose à tirer de toi.

Sans plus de précision, il se dirigea vers le village. Étonnée, Ilyana le suivit.

— Ça veut dire que je peux t'accompagner ? demanda-t-elle en essayant de contenir son excitation.
— Je ne te promets aucun résultat, le prévient le mercenaire. Cela fait bien longtemps que je n'ai pas enseigné quoi que ce soit.

Ilyana poussa un cri de joie, se retenant de sauter sur place. Le draconide haussa les yeux au ciel, semblant déjà regretter sa décision.

— Dés que je te jugerai apte à survivre seule, tu disparais, l'avertit-il froidement.
— Ça me va ! s'exclama Ilyana, tout sourire.
— Et sache que j'ai des ennemis bien plus redoutables que le menu fretin qui vous tenait en laisse.

L'adolescente aux cheveux d'argent déglutit en imaginant ce que le terme redoutable pouvait représenter pour quelqu'un d'aussi puissant que son nouveau professeur. Tout en marchant, elle se demanda comment elle devrait l'appeler dorénavant.

— Nous restons le temps des funérailles, précisa t-il. Fais tes adieux à ton frère et à ton village.
— Merci…

Elle hésita, avant de lui poser la question qui lui brûlait les lèvres.

— Comme nous allons voyager ensemble, peux-tu me donner ton nom ?

L'homme hésita en se pinçant une lèvre. Sourcils froncés, il semblait peser le pour et le contre à donner cette information. Était-ce dangereux ? Peut-être était-il recherché par les ennemis qu'il venait de mentionner ? Il inspira profondément avant de souffler tel une brise de vent :

— Kiame Oroshi.

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